La Loi Sempastous a été mise en place pour contrôler les transmissions d'exploitations agricoles qui étaient réalisées par le biais de montages sociétaires. Quelques mois après sa mise en œuvre, nous vous présentons les principaux éléments de cette nouvelle réglementation. De l’origine de la loi à sa mise en application au niveau des régions, découvrez toutes ses spécificités dans cet article.
Les terres agricoles font l’objet d’un intérêt très fort depuis longtemps. Dans les années 1960, face à l’achat de surface agricoles importantes par des non-agriculteurs, l’état à mis en place 2 outils fonciers : les cumuls (devenus depuis le Contrôle des Structures) et la SAFER. Le 1er dispositif contrôle qui a le droit d’exploiter des terres et le 2ème outil contrôle qui a le droit d’acheter des terres.
Leur objectif était déjà d’éviter la concentration du foncier au profit de quelques personnes et de soutenir l’installation de jeunes agriculteurs.
Si ces 2 réglementations n’ont pas empêché la diminution du nombre d’agriculteurs, elles ont toutefois permis de conserver des exploitation agricoles de taille moyenne (le modèle agricole familial) et d’avoir le prix du foncier agricole le plus bas parmi tous nos voisins européens.
Avec l’augmentation de la taille moyenne des exploitations agricoles, le paysage agricole s’est fortement transformé sur les trente dernières années avec un développement très important des sociétés en agriculture.
D’abord limités aux GAEC (regroupement de plusieurs exploitations agricoles) et au GFA (société civile spécifique pour la détention des terres), les sociétés agricoles se sont considérablement développées sous la forme d’EARL (Exploitation Agricole à Responsabilité Limitée) de SCEA ou SCEV (Société Civile d’Exploitation Agricoles ou Société Civile d’Exploitation Viticole) et de sociétés commerciales.
Ces nouvelles formes sociétaires répondent à des attentes des agriculteurs en terme d’organisation du travail, de statut sociale, de séparation et de protection du patrimoine privé, foncier et professionnel, d’optimisation fiscale et sociale, etc.
Elles ont eu également pour conséquence (ou pour objectif principal dans certains cas) d’écarter l’application des prérogatives du Contrôle des Structures ou du droit de préemption de la SAFER.
L’acquisition par des acquéreurs chinois de 2 exploitations agricole pour un total de 2 600 hectares dans l’Indre et dans l’Allier par le biais de cessions partielles de sociétés (vente de 99% des parts sociales des sociétés agricoles) avait fait la une des médias en 2016 et 217. Cette trajectoire juridique leur avait permis de contourner l’application des 2 réglementations du Contrôle des Structures et de la SAFER.
La profession agricole, avec la SAFER en première ligne, s’est indigné de ces pratiques et a milité pendant de longues années pour pouvoir contrôler les cessions de parts sociales de ces sociétés agricoles.
Une première loi accordant un droit de préemption sur les cessions partielles de titres de ces sociétés avait été rejeté en 2017 par le Conseil Constitutionnel (Pour rappel, la SAFER dispose d’un droit de préemption sur les cessions totales de parts sociales de sociétés agricoles).
En 2018, une mission de l’Assemblée Nationale sur le foncier agricole présidée par le député M. Jean-Bernard Sempastous publie un rapport d’information sur ces questions et préconise la mise en place d’un nouvel outil de contrôle pour éviter les opérations visant à contourner le Contrôle des Structures et le Droit de préemption de la SAFER.
Ce rapport servira donc de base à un projet de Loi présentée par M. Sempastous le 9 février 2021 auprès de l’Assemblée Nationale. Et la « Loi Sempastous » « portant mesures d'urgence pour assurer la régulation de l'accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires » a été adoptée puis promulguée le 23 décembre 2021 et publiée au Journal Officiel le lendemain.
La SAFER et la profession agricole ont pesé pendant plus de 10 ans avant de réussir à mettre en place ce nouveau contrôle.
Mais sa déclinaison pratique a elle-même été laborieuse.
Adoptée le 23 décembre 2021, la loi a été publiée le 24 décembre 2021 au Journal Officiel et devait rentrer en application au plus tard le 1er juillet 2022.
Comme pour toute loi, son entrée en vigueur nécessite la publication de décrets, arrêtés préfectoraux, …
La mission devait être complexe car le décret d’application, préalable aux autres textes, n’a été publié que le 4 décembre 2022 soit un an après l’adoption de la Loi malgré l’urgence prévue initialement.
De fait, la loi n’a pu rentrer pleinement en application qu’à compter du 1er avril 2023, avec donc 9 mois de retard.
Il y a 2 régimes distincts (la déclaration et l’autorisation) ainsi que des opérations qui sont exonérées du contrôle.
Toutes les opérations de cessions de titres de sociétés détenant en propriété ou en jouissance (location ou mise à disposition) des terres agricoles doivent être déclarées en ligne, à titre informatif, depuis le 1er janvier 2023.
Et les opérations conduisant à une prise de contrôle et au dépassement d’un seuil de superficie défini par arrêté préfectoral doivent faire l’objet d’une demande d’autorisation depuis le 1er mars.
La décision préfectorale à l’issue de l’instruction du dossier peut conduire à un refus même en l’absence de candidature concurrente (contrairement au Contrôle des Structures ou au droit de préemption de la SAFER) ou autoriser la cession sous réserve de mesures compensatoires. Le demandeur devra alors libérer des terres à la vente ou à la location.
Pour qualifier la prise de contrôle (« participation au capital qui confère, de droit ou de fait, la majorité des droits de vote ; généralement, le droit de vote est proportionnel au nombre de parts sociales détenues par chaque associé » selon le code de commerce), l’administration recherche qui détient effectivement le pouvoir de gestion et d’administration de la société sans se limiter à un seul critère de pourcentage de détention du capital social.
Ainsi, il y a présomption de prise de contrôle si une personne atteint plus de 40% des droit de vote et si aucun autre associé ne détient autant ou plus de droits.
De même, « Deux ou plusieurs personnes agissant de concert sont considérées comme en contrôlant conjointement une autre lorsqu'elles déterminent les décisions prises en assemblée générale ». On peut ainsi penser que les liens familiaux seront de nature à caractériser l’action de concert.
Les opérations réalisées à l’amiable par les SAFER sont exemptées.
Ainsi que les cessions de parts entre époux (ou personnes pacsées) et entre parents et alliés jusqu’au 4ème degré. Mais sous condition que le bénéficiaire de la cession s’engage à participer à l’exploitation des biens et à conserver les titres pendant au moins 9 ans.
Enfin, les cessions à titre gratuit (donations, successions, …) sont également exemptées.
Les seuils qui ont été définis au niveau de chaque région sont consultables dans la section réglementation du site de la SAFER.
On constate une très grande hétérogénéité des seuils d’application entre les régions :
Il y a bien entendu des coefficients d’équivalence déterminés selon les productions. C’est pourquoi, il est nécessaire de se reporter au Schéma Directeur Régional des Exploitations Agricoles défini au niveau de chaque région.
Région |
Seuil |
Auvergne-Rhône-Alpes : SDREA, arrêté de seuil |
Région naturelle 1 : 177 hectares Région naturelle 2 : 94 hectares Région naturelle 3 : 108 hectares |
Bourgogne-Franche-Comté : SDREA, arrêté de seuil |
Zone 1 : 185 hectares Zone 2 : 227 hectares Zone 3 : 282 hectares |
Bretagne : SDREA, arrêté de seuil |
93 hectares |
Centre-Val de Loire : SDREA, arrêté de seuil |
275 hectares |
Corse : SDREA, arrêté de seuil |
86 hectares |
Grand Est : SDREA, arrêté de seuil |
Régions agricoles « Montage Vosgienne » : 129 hectares Reste de la région : 222 hectares |
Hauts-de-France : SDREA, arrêté de seuil |
Nord, Pas-de-Calais : 140 hectares Aisne, Oise, Somme : 200 hectares |
Ile-de-France : SDREA, arrêté de seuil |
342,50 hectares |
Nouvelle-Aquitaine : SDREA, arrêté de seuil |
120 hectares |
Normandie : SDREA, arrêté de seuil |
148 hectares |
Occitanie : SDREA, arrêté de seuil |
Zones 3 et 5 : 115 hectares Zones 1,2,4 et 6 : 150 hectares |
Pays de la Loire : SDREA, arrêté de seuil |
150 hectares |
Provence-Alpes-Côte d'Azur : SDREA, arrêté de seuil |
127,50 hectares |
Guadeloupe : SDREA, arrêté de seuil |
13,20 hectares |
Martinique : SDREA, arrêté de seuil |
25 hectares |
Réunion : SDREA, arrêté de seuil |
9 hectares |
Cette formalité doit être réalisée au moins 2 mois avant la date envisagée de cession que l’opération soit réalisée à titre onéreux (vente) ou gratuit (donation, succession).
Ce contrôle a été confié à la SAFER qui a mis en place un portail internet spécifique : le « Portail de télédéclaration des opérations sociétaires ».
La formalité est donc à réaliser en ligne. Elle comprend 4 fiches à compléter :
Il est nécessaire de compléter un nombre très important d’informations et de joindre de très nombreux documents.
Les délais de cette nouvelle procédure sont particulièrement longs à compter du dépôt du formulaire en ligne :
Soit 4 mois et 10 jours pour un dossier classique.
Lors de l’instruction du dossier, la SAFER peut demander la mise en œuvre de mesures compensatoires par le demandeur. Si cette proposition est validée par le préfet puis acceptée par le demandeur, il bénéficie d’un délai de 6 mois pour les mettre en œuvre.
En cas de refus par le préfet, le demandeur peut proposer des mesures compensatoires (libérer du foncier), ce qui ouvre de nouveaux délais :
Cette nouvelle réglementation est particulièrement lourde et génère des délais supplémentaires pour les opérations conduisant à un « agrandissement excessif » mais également pour toutes les opérations sociétaires soumises à déclaration compte tenu du délai préalable de 2 mois.
La réalisation de ce contrôle par la SAFER est également source de critiques car les SAFER sont des sociétés régionales de droit privé. Elles ont certes une mission de service public mais sont elles-mêmes opératrices de transmission (avec des honoraires) sur ce même marché.
Enfin, il est également dommage que la procédure n’ait pas été unifiée avec le Contrôle des Structures et le droit de préemption de la SAFER afin de simplifier les démarches administratives alors qu’il s’agit aujourd’hui d’une couche supplémentaire.